chiffres sdfIl n’a jamais été facile d’être pauvre, mais maintenant c’est pire.” Prononcée par Fiona Lazaar, présidente du CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale) en exergue du rapport sur la pauvreté remis au Premier ministre en mai 2021 (page 8), cette phrase illustre à elle seule l’extrême dureté que vivent ceux qui se trouvent tout en bas de l’échelle sociale. Nous voulons parler ici des “sans domicile fixe”, plus pudiquement nommés par leur sigle, les SDF (voir comment aider les sans abris).

Il y a ceux qu’on voit parce qu’ils dorment sur les bancs publics, dans les stations de métro, ou à même le sol recroquevillés sur quelques cartons, qui nous interpellent dans la rue, qui nous inquiètent parce qu’entourés de chiens, ils représentent une vague menace.

Et puis il y a tous les invisibles, ceux qu’on croise sans les voir vraiment, parce qu’ils se font discrets, ou ceux qui vivent loin de chez nous autour des grandes villes ou au plus près des points de passage vers l’Angleterre. Ceux qui ont une solution de repli comme les centres d’hébergement, ou qui vivent en squat, ceux qui vivent dans les bidonvilles ou dans les jungles de migrants et dont on apprend la mort au détour d’une information sur les tentatives désespérées de traverser la Manche.

La liste serait trop longue à dresser ici de toutes ces personnes qui vivent en marge de notre société. Alors qui sont-ils vraiment et comment en sont-ils arrivés à cette situation ?

Il est difficile d’avoir une image claire de ce que recouvre la notion de SDF dans notre pays. Nous nous proposons par une approche à la fois sociologique et statistique, de brosser le tableau qui présente la situation des sans-abri. Il faut également envisager le sans-abrisme à l’heure du Covid et aborder ce paradoxe : se confiner dans la rue est-ce possible ? Mais avant d’examiner ces questions, il paraît intéressant de comprendre comment, au fil des siècles de notre histoire, nous sommes passés des mendiants et vagabonds d’autrefois aux SDF d’aujourd’hui.


La pauvreté en errance, comment est-on passé du vagabond au SDF ?

Le lien ici avec la pauvreté semble évident, car envisager l’errance sous son angle historique revient à regarder de près un des aspects de l’histoire des pauvres, ce qui est devenu possible grâce aux travaux des historiens qui se sont emparés de cette question au début du XXe siècle.

Cette présentation s’appuie en particulier sur les travaux de André Gueslin dans son ouvrage intitulé “D’ailleurs et de nulle part” publié en 2013 par les éditions Fayard et sur l’ouvrage “Des vagabonds aux SDF : approches d’une marginalité” de Marie-Thérèse Soletti publié en 2003 aux Presses Universitaires de Saint-Etienne.

Tout d’abord il convient de différencier le nomadisme, qui est une façon de vivre, de la pauvreté errante qui est motivée par le besoin. Pour illustrer le nomadisme, on peut citer les étudiants qui voyageaient d’une université à l’autre, les pèlerins en route vers des lieux de dévotion, les soldats démobilisés, les Bohémiens dont la présence se renforce en France au XVIe siècle.

Afin de pouvoir se représenter au mieux l’évolution de cette pauvreté errante, le fil chronologique est peut-être le plus indiqué :

    • C’est au Moyen-âge que tout bascule pour les pauvres. La pauvreté qui était valorisée par l’église catholique se voit stigmatisée puis réprimée de plus en plus. Les pauvres qui trouvaient refuge et assistance dans les abbayes, car leur dépouillement rappelait le dénuement du Christ et permettait aux nantis de racheter leurs péchés se voient rejetés et fustigés du fait des épidémies et des conséquences de la guerre de Cent Ans. Les mendiants, condamnés à devenir itinérants, ne reçoivent plus que méfiance et hostilité.
    • Au XIVe siècle le terme de vagabond apparaît, tandis que se mettent en place les premières répressions, car le pouvoir royal souhaite limiter les désordres publics qui pourraient être provoqués par les errants.
    • Durant la période qui va du Moyen-âge à la fin du XVIIIe siècle, les vagabonds sont nommés “gens sans aveu“, aveu ayant ici le sens de “peu honorable” que personne ne veut reconnaître,  “gens sans feu ni lieu“, “chemineaux ou “trimardeurs“. Louis XIV, qui estime que l’oisiveté est mère de tous les vices, tente d’enrayer le vagabondage en enfermant les vagabonds itinérants. L’objectif de cette répression est double : fixer les pauvres dans une localité pour les surveiller et tenter de les remettre au travail.
    • Cette situation va perdurer et s’amplifier au XIXe siècle. Le Code pénal de 1810 mis en place par Napoléon Bonaparte fait de la mendicité errante un délit puni par la réclusion en dépôt de mendicité. Ces dépôts de mendicité qui étaient prévus pour porter secours aux nécessiteux deviennent des lieux de réclusion et de tentatives de rééducation par le travail.
    • Au XXe siècle la situation change. Du fait du déplacement des populations de la campagne vers les villes, le vagabondage qui est un phénomène essentiellement rural régresse, et les clochards dans les villes remplacent les vagabonds errants.

C’est en 1955 que faisant suite à l’appel de l’Abbé Pierre, est créée la BAPSA, Brigade d’assistance aux personnes sans abri, dont la mission est de ramener chaque soir les clochards à la Maison de Nanterre afin de les mettre à l’abri pour la nuit.

C’est à cette époque qu’apparaît la notion de SDF. Tandis que le clochard était plutôt vu comme un marginal ou un asocial, le “sans domicile fixe” est perçu comme relié de façon directe ou indirecte à un problème de logement.

L’opinion publique s’émeut de cette situation aggravée par le chômage de masse. Il faut attendre le nouveau Code pénal de 1994 pour que soit aboli le délit de vagabondage et mendicité.

Cependant la question reste posée, car les expulsions des étrangers sans titre de séjour se sont multipliées et les municipalités qui prennent des mesures d’écartement des SDF des centres-ville ne sont pas cas isolés. Le dernier exemple en date est l’arrêté anti-mendicité dans les rues piétonnes de la ville pris par le maire de Montélimar le 7 octobre 2021. Face au recours déposé par la Ligue des droits de l’Homme, l’arrêté a été retiré (source). On peut également se référer au festival de la Fondation Abbé Pierre “Pics d’Or 2020“, évènement satirique destiné à attirer l’attention du public sur les pires dispositifs mis en place par les municipalités qui vont des pics devant les devantures des magasins aux accoudoirs en milieu de bancs pour empêcher les SDF de s’y allonger.

 

Sans abri, sans domicile, quelle différence ?

Que ce soit le service du ministère de l’Économie et des Finances ou la FAP qui est reconnue d’utilité publique, ces deux organismes s’accordent dans leurs enquêtes pour avant tout définir la personne sans domicile : “...une personne est qualifiée de « sans-domicile » un jour donné si la nuit précédente elle a eu recours à un service d’hébergement ou si elle a dormi dans un lieu non prévu pour l’habitation (rue, abri de fortune)” ➢ source site INSEE 13 mai 2020.

Pour y voir plus clair sur la notion de SDF

La notion de sans domicile (fixe) est très large et englobe toutes les personnes qui n’ont pas de logement autonome clairement identifié par une adresse postale. Ce terme regroupe les personnes hébergées en structure d’accueil + les sans abri.

Quand on parle des sans abri, il s’agit des personnes qui dorment dans la rue (trottoir, toile de tente, porche d’immeuble, sous un pont…). Là le recensement est plus compliqué. Les différentes enquêtes délimitent l’état de “sans-abri” comme suit : “Toute personne interrogée qui a passé la nuit précédente hors d’un lieu destiné à l’habitation est considérée comme “sans-abri“”.

Ainsi, toute personne considérée comme sans abri est également une personne sans domicile. En revanche, une personne sans domicile n’est pas nécessairement sans abri, si elle bénéficie d’un hébergement en structure d’accueil (voir les centres d’hébergement d’urgence). On le voit bien ici, la précarité du logement est une évidence pour ces personnes sans domicile.  Le risque de n’avoir d’autre choix que celui de dormir dehors au moins une nuit est bien réel.

Les personnes “sans domicile” ont un toit pour dormir. Cela peut être :

    • Une structure d’hébergement pour les réfugiés, les demandeurs d’asile, les personnes en réinsertion sociale….
    • Une structure d’accueil d’urgence
    • Un hôtel social faute de place en structure d’hébergement
    • Un bidonville
    • Un squat

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Ni SDF ni sans abri, mais en grande précarité face au logement

Comment doit-on considérer une personne qui doit retourner chez ses parents par obligation ? Qu’en est-il des personnes contraintes de se loger chez une tierce personne ?

Selon les définitions officielles, il faut distinguer les personnes sans-domicile et les personnes mal logées. La notion de « mal-logement » est apparue en 1995 par la Fondation Abbé Pierre (FAP) afin de faire état des difficultés liées au logement auxquelles sont confrontées les personnes défavorisées.

Chaque année, la rapport de la Fondation Abbé Pierre dresse le portrait du mal-logement en France. La notion de mal-logement regroupe de nombreuses situations. Issus du rapport FAP 2022, les chiffres parlent d’eux-mêmes :

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Statistiques : combien de SDF en France ?

Le nombre des personnes sans abri est très difficile à estimer. Si les enquêtes permettent de dénombrer les personnes qui fréquentent une structure d’hébergement ou de restauration, qu’en est-il de celles qui vivent nuit et jour dans la rue ?

Puisque ces personnes de la rue sont “indécelables” au titre des statistiques, il apparaît rapidement qu’elles ne sont pas dénombrables. Tous les chiffres qui sont avancés sont donc approximatifs. Cependant, nous pouvons nous appuyer sur l’INSEE, Institut national de la statistique et des études économiques, et la Fondation Abbé Pierre, FAP, pour être au plus près de la réalité.

À défaut de pouvoir comptabiliser précisément ces personnes qui n’ont pas de toit, il est intéressant d’observer les données chiffrées qui émanent d’organismes d’état ou reconnus d’utilité publique.

En 2001, l’Institut national de la statistique et des études économiques est pionnier en Europe en matière d’enquête nationale sur les personnes sans domicile. Cette enquête est renouvelée en 2012 et la prochaine est prévue avant 2025.

Le rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre 2022 nous livre des chiffres qui parlent d’eux-mêmes :

    • Environ 300.000, c’est le nombre de personnes sans domicile fixe annoncé par le Délégué général de la Fondation Abbé Pierre, Christophe Robert, en novembre 2020 (page 14 du rapport FAP 2022).
    • 180.000 personnes bénéficiaient d’un hébergement généraliste en octobre 2020 (page 346 du rapport de la Fondation Abbé Pierre 2022). Sont ici regroupées les personnes qui sont en Centre d’hébergement et de réinsertion sociale, CHRS, ou en Centre d’hébergement d’urgence, CHU, ou en Hébergement d’urgence avec accompagnement social, HUAS. On trouve ici des personnes à la sortie d’une incarcération, des femmes enceintes en grande précarité, des individus ou familles présentant des difficultés graves principalement familiales, économiques, de santé ou d’insertion.
    • 100.000, fin 2020 c’est le nombre d’individus bénéficiant du dispositif national d’accueil qui concerne les demandeurs d’asile et les migrants (page 346 du rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre)
    • 22.189, le nombre des personnes en bidonville en date du 12 mai 2021. Cette population est répartie sur 439 sites et parmi celles-ci sont comptabilisés 12.342 étrangers venant de pays européens tels que la Roumanie ou la Bulgarie (source Vie Publique du 12 novembre 2021).
    • 27.000, telle est l’estimation des personnes sans-abri d’après le dernier recensement de la population en 2016. En parallèle des recensements, des décomptes sont effectués chaque année lors des Nuits de la Solidarité dans de grandes villes de la métropole. Par exemple en 2020, soit avant la crise sanitaire, on dénombrait 1.000 sans-abri à Rennes, 1.600 à Montpellier, 3.600 à Paris… Il est à noter que la dernière Nuit de la solidarité s’est déroulée en janvier 2022.

Les Nuits de la Solidarité à Paris

La ville de Paris organise annuellement la Nuit de la Solidarité depuis 2018. L’édition de 2022 s’est déroulée au soir du 20 janvier 2022. Ce soir-là, 2.600 personnes n’avaient aucune solution d’hébergement pour la nuit du 20 au 21 janvier.

On note ici une “légère” baisse par rapport à l’année précédente (2.829 en 2021, 2.600 en 2022). Cette diminution s’explique par le déplacement de personnes sans-abri dans des campements et par une augmentation des places d’hébergement d’urgence.

Source : Nuit de la solidarité 2022

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Qui sont les SDF ? Où vivent-ils et est-ce une population homogène ?

Le dénombrement est une chose, mais il en est une toute autre :  comprendre qui sont ces personnes de la rue et quels sont leurs profils.

Ce qui est certain c’est que les SDF, au sens où ce terme est couramment entendu, restent des personnes que l’on connaît très mal. Et ce d’autant plus que, à moins de s’intéresser à cette question, tous les SDF ne sont pas sous notre regard.

Si l’on s’en tient aux différentes mesures qui sont prises par les institutions ou par les associations pour leur venir en aide, on peut constater que leurs besoins sont multiples et variés, tant pour ce qui est des mesures d’urgence que des aides apportées pour le logement, la santé, l’emploi…

Il est donc possible de répondre dès maintenant à la question de la diversité de cette population en se basant sur la multiplicité des besoins. Les SDF ne sont pas une population homogène et il est primordial de les connaître pour les approcher et leur être utile.

 

Les SDF dans la société : quels sont leurs profils ?

L’évidence est donc qu’on ne peut pas catégoriser la personne qui ne dispose pas d’un hébergement stable. Chaque personne sans domicile possède son propre parcours, sa propre identité et par là même des attentes et des besoins particuliers.

Quand les organismes publics permettent d’obtenir des chiffres et des statistiques, il est nécessaire de se tourner vers les associations pour avoir des précisions sur les situations individuelles des sans-domicile.

Afin de pouvoir mieux appréhender la situation réelle des SDF, il est indispensable de croiser les différentes informations fournies par les associations de secours aux sans-domicile, les organismes publics ou d’autres sources.

Voici tout d’abord quelques données :

    • Selon le 24ème rapport annuel de la fondation Abbé Pierre en 2019, une proportion très importante des SDF, au regard des chiffres concernant la population nationale, est représentée par d’anciens détenus, des personnes sortant d’un établissement psychiatrique ou de jeunes en fin de droits d’Aide sociale à l’enfance, ASE. Ces sorties de structures pénitentiaires, psychiatriques ou de placement pour les enfants, se font trop souvent sans accompagnement. Comment ne pas voir alors le risque accru de récidive, de mauvaise prise en charge de la pathologie ou du sentiment de nouvel abandon ?
    • Le 14 mai 2021, le journal Le monde rapportait que 80% des SDF sont des hommes isolés
    • 20% des sans-abri sont en couple, parfois avec des enfants
    • Un quart des sans-abri nés sur le territoire, ce qui représente plus de 10.000 individus, sont des personnes qui, dans leur enfance, n’ont pas grandi avec leurs parents, mais ont été placées sous la responsabilité de l’Aide sociale à l’enfance (source)
    • La majorité des sans-abri a été victime d’un événement traumatisant dans son enfance
    • 25% des sans-abri ont subi des violences ou ont été maltraités au cours de leur enfance

L’Aide sociale à l’enfance, et après ?


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Concernant l’espérance de vie des personnes sans domicile, le travail et la présence des femmes, les organismes publics informent :

    • Espérance de vie de 49 ans pour les SDF en 2021 selon le Collectif les morts de la rue (voir ici) : au moins 710 personnes SDF sont mortes, ces chiffres sont a prendre avec beaucoup de précautions, car il se peut qu’ils soient encore plus graves qu’annoncés. La durée de vie moyenne de la population française établie par l’INSEE est de 79,2 ans pour un homme et de 85,3 ans pour une femme
    • 90% des SDF ont  par le passé expérimenté le monde du travail (source INSEE 2014)
    • Les SDF qui travaillent sont embauchés sur des emplois très précaires. Parmi eux, 22% ne possèdent pas de contrat de travail et 15% sont stagiaires, occupent un emploi saisonnier ou travaillent comme intérimaires (source INSEE “les sans-domicile et l’emploi”)
    • 14% des adultes SDF francophones ont suivi un cursus d’études supérieures. Ainsi, et de plus en plus, être diplômé n’est pas une garantie pour échapper à une situation de précarité
    • 25% des sans-abri travaillent (source INSEE). Bien évidemment, cela se passe très souvent dans la précarité de l’emploi, lui-même en général peu qualifié. Les secteurs  employeurs sont principalement le bâtiment, les services à la personne et la restauration/hôtellerie.
    • 37,5% des SDF étaient des femmes en 2012 et seulement peu d’entre elles vivaient dans la rue. Les femmes SDF sont prioritairement prises en charge par les services de l’État et par les associations d’après le rapport publié en 2014 de l’enquête INSEE 2012 relative aux personnes sans domicile (page 21).

Enfin, d’autres indicateurs sont pointés par diverses associations de lutte contre la précarité (source journal “Le Monde” du 2 décembre 2019) :

    • 146 bébés ont vu le jour dans la rue en 2019. En 2017, 49 naissances ont été dénombrées, 100 en 2018
    • 700 enfants, tous âges confondus, vivent sur le trottoir à Paris

Concernant les enfants mineurs, certains vivent dans la rue avec leur(s) parent(s) quand d’autres sont tout simplement livrés à eux-mêmes.

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Les mineurs non-accompagnés

Il s’agit très souvent de jeunes étrangers qui se retrouvent sur le territoire français seuls, sans parent ou représentant légal. Pour un bon nombre d’entre eux, l’État ne les reconnaît pas comme mineurs et leur refuse de fait l’aide sociale à l’enfance. Puisqu’ils ne sont pas majeurs, ils n’ont pas accès aux structures d’hébergement d’urgence et se retrouvent de fait livrés à eux-mêmes dans la rue.

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Où vivent les SDF ? Ceux qu’on voit et les autres

Il est possible de considérer que les personnes les “mieux loties” sont celles qui réussissent à être hébergées par leurs propres moyens en faisant appel à leur réseau, familial ou d’amis. C’est le cas des enfants devenus adultes, mais qui n’ont pas les moyens de se loger de façon autonome et qui sont amenés à rester vivre un temps chez leurs parents.

D’autres personnes feront le choix d’être hébergés chez des amis, souvent de manière transitoire, dans l’espoir d’un avenir meilleur… Ces solutions restent temporaires. Elles sont précaires et trop souvent sources de souffrance psychologique.

Mais alors où logent les personnes qui ne peuvent recourir à l’entraide familiale ?

    • Dans des squats, avec le risque permanent d’une expulsion
    • Dans des bidonvilles, dans des conditions trop souvent indignes
    • Dans des structures d’accueil d’urgence, selon les disponibilités des hébergements et le profil des demandeurs. La priorité est donnée ici aux familles avec enfant(s) et aux femmes seules
    • Dans des centres d’accueil pour les réfugiés
    • Hors d’un lieu dédié à l’habitation, plus communément désigné par “à la rue”

Pour rappel, l’enquête INSEE de 2012 a montré que :

    • La moitié des adultes francophones et sans domicile vivait en hébergement collectif
    • Plus de 30% étaient logés par le biais d’une association
    • Un sans-domicile sur 10 était hébergé à l’hôtel
    • Un sur dix également se retrouvait sans-abri

Ces données de l’INSEE concernent des agglomérations de 20.000 habitants ou plus.

Intéressons-nous maintenant plus précisément aux sans-abri.  Ces personnes sans logis passent la nuit dans des lieux qui ne sont pas destinés à l’habitation telles que :

    • Dans leur voiture
    • Dans les parties communes d’un immeuble
    • Dans une cave
    • Dans un entrepôt
    • Dans un parking
    • Dans une gare
    • Dans le métro
    • Sous un porche
    • Sur le trottoir
    • Dans un terrain vague
    • Dans un jardin public

Et au réveil, ils n’ont d’autre solution que de poursuivre leur errance dans la rue ou dans tout autre lieu de l’espace public.

Quand l’espace public s’oppose aux sans-abri

Depuis quelque temps, apparaissent ici et là des dispositifs anti-SDF qui, pour peu qu’on les observe de près, nous interpellent.

La Fondation Abbé Pierre récompense chaque année, au cours de la cérémonie “Les Pics d’Or”  les “meilleures/pires” installations  qui visent à interdire aux sans-abri de tout simplement se poser pour se reposer.

Voici des images qui se passent de commentaire :


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Comment devient-on SDF ? Existe-t-il des facteurs déterminants ?

On ne naît pas SDF, on le devient

Nous l’avons vu, il n’existe pas de profil type de la personne SDF, car les situations et les parcours de vie sont très variés.

Cependant toutes les études convergent vers ce constat, il existe deux facteurs qui multiplient le risque de devenir sans domicile :

    • Les personnes cumulent plusieurs problématiques personnelles qui les mettent dans une situation très complexe comme des problèmes de santé voire de santé mentale, la perte d’un emploi, un divorce, un surendettement, etc.
    • Un lien familial très fragile ou absent ce qui implique un manque de soutien et un isolement très important des personnes concernées

Interrogés à l’occasion des nombreuses enquêtes (INSEE, nuits de la solidarité,…) dont l’objectif est de mieux les connaître pour mieux les aider, de nombreux SDF attribuent la perte de leur logement à un évènement particulier comme la perte de leur emploi ou un divorce (source enquête INSEE, p 35).

Or il s’avère que dans la grande majorité des cas, devenir SDF est la conséquence d’un enchaînement de causes qui s’ajoutent et s’imbriquent les unes dans les autres, d’où une très grande complexité qui apparaît au moment de trouver des solutions. Il s’agit donc de comprendre davantage le parcours de ces personnes que d’isoler un évènement spécifique pour comprendre comment on devient SDF. Il existe de nombreuses solutions pour aider les SDF.

Cette approche est essentiellement individuelle, mais il existe une façon plus sociologique et politique d’appréhender cette question (voir les politiques françaises et européennes en matière de sans-abrisme). En effet, le curseur de notre réflexion peut se déplacer de la marginalité à l’exclusion.

On peut considérer le SDF comme un marginal qui d’une certaine manière est victime de lui-même et de son mode de vie. Les exemples qui se rattachent à la vision de ce qui peut pousser un individu à devenir “un clodo”  sont nombreux et relèvent le plus souvent de l’ordre du préjugé :

    • “Quand on veut, on peut”
    • “Tu n’as qu’à te bouger”
    • “Faut que tu réagisses”
    • “Tu te la coules douce”
    • “Du travail il y en a”, souvenez-vous du célèbre “Je traverse la rue et je vous en trouve (du travail)” prononcé par le Président Macron à destination d’un jeune horticulteur à la recherche d’un emploi. Europe 1 a pris de ses nouvelles un an après

À l’inverse si on voit le SDF comme un exclu, on l’envisage comme étant victime, non pas de lui-même, mais de la société qui, par un mécanisme inhérent à son fonctionnement, produit de l’exclusion.

Il devient alors l’accidenté d’un système économique qui repousse en périphérie les individus les plus fragiles, les moins susceptibles de participer au développement économique du pays.

Une meilleure compréhension du parcours des SDF n’empêche pas l’humour :

 

Vous avez dit confinement et couvre-feu ? Les SDF et la crise sanitaire

On se souvient tous de la sidération qui nous a saisis lors du premier confinement provoqué par la pandémie du Covid 19 : plus aucune voiture dans les rues, plus un bruit, des autorisations interminables à écrire pour justifier de devoir sortir de chez soi en indiquant motifs et horaires. Comment alors imaginer la situation de celles et ceux qui n’ont aucun “Chez-soi”? Être sans-abri et rester chez soi c’est juste mission impossible.

Trop interloqués nous-mêmes, sans doute n’y avons-nous simplement pas pensé. Et pourtant les SDF ont vécu la même situation que nous, mais dans des circonstances bien différentes.

Si les conditions hivernales, froid, vent, humidité, représentent une aggravation des conditions de vie des sans domicile, la pandémie, que personne n’attendait, a rendu la vie des ces personnes encore plus précaire et aléatoire.

Rapidement, les associations d’aide aux sans-abri ont alerté les pouvoirs publics sur les conditions dramatiques des personnes qui se sont vues privées subitement de toute possibilité de demande d’aide. On peut imaginer le désarroi des personnes demeurées seules dans les rues devant les fermetures en cascade :

    • Tous les guichets publics se sont fermés ou ont été désorganisés
    • Les maraudes de nuit se sont arrêtées
    • Les accueils de jour se sont fermés temporairement ou durablement
    • Tous les accès possibles aux services numériques ont été interrompus
    • Les bénévoles se sont retrouvés confinés donc absents pour porter assistance aux personnes sans domicile
    • Tous les lieux habituels où la solidarité peut s’exprimer ont été fermés comme les cafés, les restaurants, les gares, les bibliothèques….

Les conséquences ne se sont pas fait attendre :

    • La réapparition de la faim : plus aucune possibilité d’obtenir une portion de frites ou une soupe chaude, de glaner quelques restes sur les marchés puisque ces derniers étaient interdits
    • L’isolement s’est encore accentué par l’absence des personnels d’aide, salariés ou bénévoles, et l’impossibilité de recharger son téléphone portable
    • La peur, toujours présente quand on n’a pas de “chez-soi” s’est trouvée amplifiée par l’angoisse de la contamination et celle d’être contrôlé par les forces de l’ordre
    • L’hygiène déjà si précaire s’est encore dégradée du fait de la fermeture des toilettes que l’on peut trouver dans les bibliothèques, dans les gares ou les centres commerciaux, contraignant certains à faire leurs besoins dans la rue. Et bien sûr aucune possibilité de se fournir en masques ou en gel hydroalcoolique

Par la suite, au moment où le nombre de places en centre d’hébergement à été substantiellement augmenté, on a pu assister à un accroissement important du nombre de SDF.

Plusieurs raisons à cette amplification :

    •  Ceux qui étaient hébergés par des tiers ont été priés de quitter les lieux
    • Tous ceux dont on avait perdu la trace et qui vivaient dans des caves, des greniers, des abris de jardins, sont réapparus en vue d’obtenir une mise à l’abri
    • Par crainte, justifiée, de se transformer en “clusters”, les prisons ont libéré quelques 13.500 détenus en fin de peine ou en peine légère, parfois en sortie sèche sans solution de revenus ni d’hébergement (source Francetvinfo.fr)

Toutes les informations qui concernent les conditions de vie des SDF lors de la crise sanitaire consécutive au COVID, remontées des associations d’aide aux sans-abri, proviennent du rapport sur la pauvreté du CNLE.

On le voit bien, la pandémie de Covid qui a eu de très lourdes conséquences pour la grande majorité d’entre nous, s’est avérée bien plus cruelle encore pour les sans-abri. Le plus inquiétant est que cette crise sanitaire qui s’est doublée d’une crise économique a précarisé les plus pauvres qui peuvent à tout moment, pour raisons de loyers impayés par exemple, basculer dans la très grande pauvreté et accroître encore la population de la rue.

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